Pauvre conne

anne geddes

Anne Geddes

« Pauvre conne »
Ce sont les mots employés par un des mes contacts Facebook pour résumer la stupidité sans fond d’un article paru dans le Huffington Post Québec.
Laconique et cinglant à souhait, c’est en courant que je m’en fus voir de quoi il retournait. Tu penses bien.
Je ne vais pas être déçue.

Le billet s’intitule « T’as pas d’enfant, tu m’en dois une ! » et est écrit par Bianca Longpré « Blogueuse ici, maman là-bas, productrice entre les deux »
Tu le sens venir le petit rototo de lait caillé ?
Bianca souffre d’un trop plein de bonheur. Depuis qu’elle est née dit-elle, elle ne cesse de recevoir des pelletées d’amour, de câlins, d’attention, ça déborde de tous les côtés. Et pour ne rien arranger à ce tsunami de miel et de guimauve, Bianca aujourd’hui adulte, peut se targuer de posséder une santé de fer, un « belle job », une situation confortable, des amis fidèles et bienveillants et, cerise sur la pièce-montée, un « chum » (mec) charmant et plus que dévoué.
On nage en plein chocolat viennois.
Et Bianca n’en finit plus de nous balancer toute sa chance inouïe en pleine gueule avec l’élégance d’un américain qui boufferait un Paris-Brest devant une flopée de petits somaliens.
Cependant, n’allez pas croire que madame subit passivement tous ces assauts de joie de vivre, d’éclats de rire et de conviviales raclettes, n’allez pas croire qu’elle a baissé les bras et se contente de se prélasser dans cette existence faite de soie et tissée de fil d’or.
Non.
Madame cogite et elle a des choses à dire.
Quelques petites réclamations à faire aussi.

Bianca a bien conscience que garder égoïstement tout ce bonheur pour elle, c’est un peu indécent et va donc réfléchir à la meilleure façon d’en redistribuer une partie autour d’elle. Comment ? En allant servir des soupes chaudes aux clochards de sa ville ? En tricotant des moufles pour les nécessiteux du Bangladesh ? En parrainant une petite sénégalaise ?
Absolument pas.
La seule et unique façon selon Miss Longpré de partager, de donner de son cœur et sa personne, c’est de faire des mômes. La générosité d’une personne ne peut s’exprimer QUE dans la procréation. Et c’est la raison pour laquelle elle a décidé de se transformer en pondeuse semi-industrielle.
Patience, le feu d’artifice de la connerie ne fait que commencer et la maman-blogueuse-productrice-d’ici-là-bas ne compte pas se limiter à son point de vue personnel, elle a un message universel à faire passer ;
Elle assène alors, toute pleine d’une confiance qui confine à l’arrogance (quatre mioches au compteur, ça en impose vous en conviendrez) « Pourquoi des gens décident de tout garder pour eux ? De ne pas partager et redonner à la prochaine génération ? On ne parle pas d’aller au cinéma avec un neveu là. On parle d’avoir des enfants. De redonner pour vrai.» avant de persister, la bêtise crasse en roues libres « Je crois que l’égoïsme est ce qui se cache derrière les gens sans enfant. L’égoïsme et la peur des responsabilités. Parce qu’avoir des enfants c’est la seule façon de vraiment redonner au suivant (…) »
Tu es stérile ? Rien à battre, c’est un tir groupé.
Vous pensiez que c’était le bouquet final ?
Et bien pas du tout.
On continue, Bianca n’a pas encore fini de cracher son venin sur les méprisables « sans enfant » sur « ceux qui choisissent de pouvoir dormir le matin » Les odieux salopards.
Oui parce que c’est bien beau tout ça mais « avoir des kids c’pas de la tarte » déplore la blogueuse (re)productrice, qui estime faire une montagne de sacrifices « En éduquant et en élevant 4 enfants nous offrons à la société ce qu’il y a de plus important, la base de toute société: une relève.(…)  j’offre énormément à ceux qui n’ont pas d’enfant… Je travaille pour eux. Je contribue au futur de la société » chouine t-elle comme si le monde n’était pas au bord de l’implosion pour cause de surpopulation, puis d’enchaîner toujours avec cet aplomb insupportable de nantis « Et plus tard, dans 30 ans, qui fera tourner l’économie ? Qui seront les prochains médecins, infirmières, ingénieurs, qui seront les prochains travailleurs: le fruit de nos sacrifices, nos enfants » On notera qu’il n’est nullement question de femmes de ménage ou de maçons – totalement inenvisageable pour une snobinarde de cette espèce – et qu’elle omet soigneusement d’évoquer les mamans de Guy Georges ou Mohammed Merah qui pourtant ont dû, elles aussi, s’en taper des bronchiolites nocturnes et des couches pleines de merde avant de nous léguer leur monstre.
Tous ne finissent pas chirurgien ou prix Nobel de la Paix.
La conclusion de cette diatribe délirante – ou le bouquet final, on y est – ne se fait pas attendre, accrochez-vous bien : « Dans 30 ans, ceux qui ont décidé de ne pas avoir d’enfant vont quand même toucher leur retraite, vont profiter des services sociaux, des services publics, etc… Les gens qui « n’étaient pas faits pour avoir des enfants » vont profiter des mêmes avantages que ceux qui ont dû faire plusieurs sacrifices en ayant des enfants. Est-ce juste ? (…) Est-ce que les parents ne devraient pas profiter d’avantages ? Je crois que oui » tempête t-elle avant d’exiger, au firmament d’une suffisance ahurissante « En tant que mère et contribuable, je considère donc que j’ai droit d’être reconnue comme une contribuable supérieure, comme tous les parents. Oui mesdames et messieurs, l’élite, ce sont les parents.
Gens sans enfant, vous nous en devez une ! »
Consternation profonde.
Que d’acides régurgitations pour quelqu’un qui se prétend tellement heureuse.
Et un dernier petit uppercut pour la route : ce papelard plein de prétention obtuse, d’intransigeance brutale, de discrimination tranquille a récolté 29 000 « j’aime »
29 000 putain de « j’aime ».

Dis-moi Bianca Longpré, comment envisages-tu la traque, cette chasse aux sorcières infertiles ? Doit-on mettre dans le même panier ceux qui ne veulent et ceux qui ne peuvent pas avoir d’enfant ? Comment les différencier sans violer les intimités les plus profondes ? As-tu bien conscience qu’il sera assurément plus aisé de pointer du doigt les femmes que les hommes non-procréateurs ? As-tu bien conscience que tous les extrémismes dévastateurs, tout comme toi, voient ou ont vu la diversité comme un parasite nuisible ? As-tu bien conscience des dérives glaçantes que pourraient entraîner tes revendications aussi absurdes que capricieuses ? Penses-tu vraiment que des femmes comme Frida Kahlo, Hannah Arendt, Anaïs Nin ou Simone de Beauvoir, qui n’ont pourtant déposé aucune petite crotte génétique sur cette Terre, ne nous ont rien laissé de digne d’intérêt ? Une montée de lait t’aurait-elle ravagé le cerveau ?

Lilas Goldo