Génération Fast-Sex, génération perdue ?

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« Venez comme vous êtes ! » disent-ils, alors tu viens avec ton vieux leggings qui poche aux fesses ou tes baskets qui puent la mort, tu viens sans trop d’effusion, ni d’enthousiasme.
La commande est sans surprises, tu la connais par coeur, tu la récites d’un trait sans même avoir besoin de reprendre ta respiration.
Les lieux sont insipides, l’air chargé de graillon, les tables poisseuses, la clim’ branchée en mode polaire.
Bouffer pour bouffer. Vite fait, mal fait. Parce qu’il le faut.
Repartir le ventre certes plein mais un peu nauséeux.
Tout en sachant que dans une heure ou deux, la dalle reviendra cogner le fond de tes entrailles.
Je veux parler des histoires d’amour que vous avez assez piteusement transformées en baise hygiénique, en fuckfriending ou plan cul régulier.
Génération fast-sex ou la tristesse et les sanglots longs des culottes froides, des coeurs anesthésiés.
Un peu souvent je trouve, la petitesse de vos ambitions coïtales me désespère.

À défaut de pouvoir capitaliser les sentiments, on a tinderisé les relations.

À bien y réfléchir, la seule et unique chose qui reste gratuite en ce fichu monde rongé par la cupidité, c’est les élans du coeur, les sentiments.
On peut s’acheter une nouvelle paire de loches, une pipe ou commander, moyennant une bonne liasse de dollars, un bébé blond aux yeux bleus. L’amour lui, envers et contre tout, reste immuablement ce désinvolte enfant de saltimbanques que rien ou presque ne peut corrompre.
Mais les marchands, les spéculateurs en tout genre sont des êtres rusés et obstinés : « Le coeur est une forteresse financièrement imprenable ? Très bien, nous passerons par les culottes ! »
Et c’est ainsi que naquirent des concepts aussi dingues que Meetic, Adopte un mec ou Tinder.
Pour attirer le chaland, on y agite avec vigueur un petit chiffon rouge – la couleur de l’amour – mais à y regarder de plus près, ce petit chiffon rouge n’est bien souvent rien d’autre qu’un vulgaire string en fibre synthétique.
Et le subterfuge fonctionne au-delà de toutes espérances : parée de son honorable robe sentimentale, la consommation sexuelle s’impose comme une denrée impérativement nécessaire au bien-être de chacun et se met à déborder allègrement du cadre de ces applications de rencontre pour s’implanter comme une évidence universelle. Les médias, les publicitaires, bien conscients de l’enjeu économique que représente la chose nous le serinent chaque jour, à toutes les sauces – surtout la blanche et sans oignons – ; baiser prolonge l’espérance de vie, fait maigrir, soigne l’acné, les verrues et la dépression…
Sexez, sexez frénétiquement pour être heureux !
Ce sexe facile à portée de clic, il serait criminel de ne pas en jouir jusqu’à la lie.

Fast mais si peu furious génération.

Cette génération, c’est pas la fureur de vivre et d’aimer qui l’étreint et dans ce contexte actuel de morosité chaotique, elle s’attache surtout à survivoter dans l’urgence.
Ça ira mieux hier, demain reste incertain
Petite jouisseuse au bonheur précoce et fragile, un brin tire-au-flanc, un chouia résignée et désabusée, cette génération ne pouvait que s’engouffrer tête la première dans l’habile stratégie de ces petits shoots d’extase à la commande.
Dans une société qui érige la quantité, la performance et le rendement en piliers de la réussite, pourquoi encore s’attarder sur les fastidieux mécanismes du coeur ? Pourquoi se lancer dans un jeu de séduction long et laborieux alors qu’il suffit d’activer sa géolocalisation ou de textoter son plan cul pour atteindre un orgasme dans les deux heures qui suivent ( si tu négocies avec doigté ton affaire ) ?
Toute femme libre et moderne se doit d’avoir au chaud dans son répertoire une ou deux bites aimables et serviables.
On a pris soin de convaincre la gent féminine que leur émancipation face aux diktats patriarcaux ne se ferait pas sans libération sexuelle. Doux leurre, qu’elles avalent sans broncher. Leurs levrettes prennent certes des allures de chevauchées sauvages mais le mors et la bride sont toujours bien là. Sois belle, sois jeune, sois désirable demeurent les maîtres mots de ces relations exclusivement épidermiques.
L’homme lui, est devenu un lion en captivité à qui on livre chaque jour des tranches de gazelle sous cellophane. Le testostérogramme à plat, les couilles pleines d’ennui, l’obésité qui guette. le fauve n’a plus qu’à pleurer ses dernières larmes entre des cuisses anonymes.
Pauvres bêtes.

L’ère des rétines qui bandent comme des taulards et des cardiogrammes qui somnolent.

Est-il venu le temps des sentiments tenus en laisse ? Le temps flippant, des copulations robotiques ?
Dans le fracas des halètements et des cris de jouissance – réels ou sur Youporn -, dans le brouhaha de cette course effrénée à l’orgasme impérieux, dans le boucan des téléphones qui sonnent, des ordis qui bourdonnent, on n’entend presque plus le chuchotement du désir, le bruit des gens qui s’aiment.
Nom d’un chien, où sont passés les battements de vos coeurs ?
Peut-on être heureux un jeudi sur deux dans des draps dénués de toute âme, entre 17 et 19 heures ?
J’en doute.
La solitude fait rage et la vente d’antidépresseurs ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui.
Les nouvelles technologies sont un outil fabuleux mais à double tranchant ; la tentation – incluant la lancinante impression que l’herbe est forcément plus verte ailleurs – y est omniprésente et la vacuité des possibles peut vite devenir enivrante. On pense à ce qu’on rate, plus à ce qu’on a.
On court après un idéal qui n’existe que sous filtres Instagram, l’amour est devenu une injonction qui exige un paiement cash en liquide séminal, orgasmes et tressaillements.
Au risque de paraître brutalement fleur bleue, je ne comprendrais jamais cette génération qui préfère aller au MacDo tous les jours plutôt que chez Ducasse une fois par semaine, cette génération qui se contente de ces coïts du dépit, cette génération aux ambitions sèches et demi-molles.
Je ne saurais jamais comment vous faites pour baiser sans mettre un peu d’amour dedans.
Soyez fous bon sang et prenez le risque d’aimer !

Texte écrit pour dafouk.com.

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